Le thé de la lutte sociale

Près de Marseille, les ouvriers d’une usine de thé ont résisté à la délocalisation planifiée par leur multinationale. Après des mois de lutte, ils ont repris l’activité en coopérative et se lancent dans les infusions biologiques et locales.

usine de thé

À la fin de l’année, une nouvelle marque achalandera les rayons de thés et infusions des supermarchés. Son nom ? 1 336, comme le nombre de jours qu’a duré la longue lutte sociale qui a abouti à sa création. Un conflit où, pour une fois, le petit a vaincu le gros ; où quelques dizaines d’ouvriers ont fait plier une multinationale ; où la logique de la production locale l’a emporté face aux règles du libéralisme économique mondialisé.

Tout commence le 28 septembre 2010, à Gémenos, dans la banlieue de Marseille. C’est ici qu’est basée l’usine Fralib, qui conditionne les thés Lipton et les infusions Eléphant, commercialisés par la multinationale Unilever. Ce jour-là, la direction annonce la fermeture du site et sa délocalisation en Belgique et en Pologne, alors que la production est consommée aux trois-quarts en France. En cause, la rentabilité de l’usine, jugée insuffisante par un groupe qui dégagera pourtant 4,6 milliards d’euros de bénéfices cette année-là.

Pour les 182 salariés, c’est le début de la lutte. A trois reprises, ils attaquent en justice le plan social présenté par la direction. A trois reprises, ils obtiennent gain de cause. Pour sauvegarder leur outil de production, ils occupent longuement leur usine. Et imaginent une idée folle : devenir leurs propres patrons. Se passer d’Unilever en reprenant l’usine sous la forme d’une coopérative ouvrière…

Le projet est lentement travaillé. Économiquement, il tient la route. Les médias sont séduits, la gauche politique aussi. En mai 2014, après 1 336 jours de lutte, Unilever craque. La multinationale s’engage, à titre de dédommagement, à verser près de 20 millions d’euros à ses anciens salariés, ce qui permettra à une soixantaine d’entre eux de racheter les machines et de former la coopérative.

Un an plus tard, celle-ci a déterminé sa politique salariale : il n’y aura aucun dividende reversé aux coopérateurs actionnaires, et

l’écart entre le plus haut et le bas salaire sera de 1,3. Chez Unilever, le rapport était de 210… La nouvelle entreprise s’est donné un nom : la Scop-Ti (Société coopérative ouvrière provençale de thés et infusions). Elle fera de la sous-traitance pour des marques de distributeurs, mais elle aura surtout ses deux propres gammes de thés et infusions. La première s’appellera… 1 336 et sera destinée à la vente en grandes surfaces. La seconde, composée de produits biologiques, Scop-Ti, sera distribuée en magasins spécialisés.

Contrairement à ce qui se faisait à l’époque d’Unilever, les produits ne seront issus que « de plantes et d’arômes naturels ». Pour les matières premières introuvables en France, comme le thé, l’idée est de garantir aux producteurs étrangers un prix décent. Pour le reste, l’objectif est de « relancer la filière des plantes aromatiques et médicinales » en France, en s’approvisionnant par exemple en tilleul dans la Drôme. Une filière « détruite il y a une vingtaine d’années » par les stratégies de délocalisation des grands groupes agroalimentaires.

usine de thé

À Gémenos, après plusieurs années de silence, les machines de conditionnement ont redémarré cet été. Leur avenir, après le combat des ouvriers, appartient désormais aux consommateurs.

Clair Rivière

En savoir plus : scop-ti.com

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